PARTANT
Eh bien, pourquoi ? Mais il n'a pas répondu. Il partait, en laissant derrière lui la lumière sèche et le silence assourdissant. Il partait, en quittant sa maison construite à travers le temps des générations, couverte par le toit des mémoires ayant les entrées et sorties particulières, les premières au présent, les deuxièmes au passé...
Il partait, sans prendre congé de personne, mais sans filer à l'anglaise en illuminant comme par un éclair la voie suivie par les partants avant lui... et avant eux... Il semblait qu'il n'ait rien pris avec lui, tout restait en place, mais tout est changé décisivement : les murs se sont assombris, le lavabo pleurait goutte à goutte, les pommes dans le vase se sont flétries, l'accordéon est devenu orphelin; il partait, sans se retourner, en laissant la maison construite par lui et par ceux qui étaient avant lui.
Dans la composition "Partant" j'ai imaginé plutôt bâtir la maison à partir de la maison du père et du grand-père à Ovsiannitchicha, de la maison de la grand-mère Olga Bogova à Rogoulicha, de la maison du compagnon d'enfance du père Pierre Chadov à Segoti, de la maison de maman et d'un autre grand-père à Shepelicha, où j'ai trouvé un fragment de brique sous les tilleuls plantés par le grand-père cent ans en arrière. Eux tous, comme je les ai appelé, ont quitté leurs maisons, les ayant laissées pour un arbitraire du sort, si la maison a un sort...
Je me rappelle, Pierre Chadov sur ma demande de jouer quelque chose sur l'accordéon a répondu je "ne peux pas", et à ma question "pourquoi ?" A désigné avec la tête les icônes et a chuchoté comme l'expiration d'un vieillard "chrech" et ayant saisi le doute dans l'expression de mon visage, a expliqué en détail : "je mourrai bientôt, mais après moi personne ne jouera, la maison deviendra sourde, pour que cela ne soit pas brusque cela fait déjà trois ans que je ne joue plus, et même je parle rarement, il n'y a personne ...voila tu es arrivé, j'ai bavardé avec toi pour les trois années où je n'ai pas pu parler..."
Ils sont partis, tous, sauf maman, mais elle est déjà plus proche d'eux, que de moi. Dans les conversations avec elle pour la détourner des maladies et de la tristesse, je lui pose des questions sur sa maison natale, je m'informe en détail, et elle, avec le visage se ranimant, se rappelle les détails de sa maison, et nous traçons ensemble son plan avec le four, la soupente, la couchette, les bancs, les coffres, la table, le monticule de vaisselle, le rouet et le coin des icônes.
Il partait, sans se retourner, inaperçu en enjambant le seuil et en laissant la porte ouverte à deux battants. Depuis un certain temps je comprends que je m'avance inévitablement vers cette porte derrière laquelle ils sont tous.